Mustradem - Musiques Traditionnelles de Demain
Newsletter #71 juillet août 2021
Édito En des sillons

En route allons les gars / Jetons nos vieux sabots / Marchons, marchons / En des sillons plus larges et plus beaux
                                                        Gaston Couté, La Paysanne, in CD A la verticale, à l'horizontale

Que faisons-nous d'autre, dans le cours d'une vie, que de sillonner des espaces choisis ou imposés ? Au cinéma, on peut en général résumer un plan au trajet d'un personnage d'un point à un autre. Je sillonne des pentes régulièrement, en rêve ou en courant, m'envolant, ou trébuchant sur des cailloux. Danser, c'est dessiner sur une piste d'envol invisible. On croit qu'avancer anesthésie, noie les pensées ; chez moi c'est le contraire, ça les éclaire, les dégraisse ; à mon bureau je suis comme une vache qui rumine, en marche je scintille de mille feux.
On est donc vigilant, attaché à son espace de course, à ce rêve américain qui chaque jour nous fait pousser en avant des frontières lumineuses. Or, nous explique Maurizio Lazzarato (1), c'est sur la question du temps que le néo-capitalisme a, on pourrait dire, une longueur d'avance. On n'échappe pas aujourd'hui à la civilisation du crédit. Fabriquer du crédit, c'est aussi fabriquer de la dette. On postule pour cela un homme moral, dont on s'assure qu'il pourra rembourser sa dette ; cela coûte moins cher que la dictature. Or, ce qui relevait naguère du contrat privé est devenu une entreprise de propagande à grande échelle, relayé par un discours rabâché quotidiennement. Fabriquer la dette d'un pays, c'est s'assurer des moyens de le mettre à genoux. Quant à nous, citoyens, nous sommes endettés. Depuis notre naissance. Pour racheter cette dette, il faut accepter des privations, des sacrifices. Racheter une dette, c'est littéralement racheter du temps. Nous voilà donc (se méfier des fictions, les accueillir et les bouffer avant qu'elles ne nous bouffent), pour solder un passé réécrit, mis aux fers en notre futur même (2).

La question n'est pas d'examiner ici les solutions pour sortir de cet esclavage fictif (elles existent, et nombreuses) ; mais de jeter un œil sur le projet mustradémien. Il a été brièvement évoqué entre nous, lors de la dernière assemblée générale.

Il en est chez nous qui pensent que le projet Musique traditionnelle de demain, au-delà de cette boutade, coup de tampon originel ô combien caricatural sur notre démarche initiale, a vécu. Il faut, soit y renoncer, soit le renommer. Et porter ailleurs ce que nous avons appris.

D'autres (dont je suis) postulent plutôt que notre démarche survit depuis longtemps à une mode « néo-trad » dissoute dans de nouveaux horizons. Nous nous sommes penchés à plusieurs, comme d'autres avant nous, sur un chaudron au contenu mal connu, mais rempli de promesses ; d'ingrédients dont nous avons fabriqué, en des temps lumineux, des musiques nouvelles. Aujourd'hui la marmite est toujours là, toujours aussi pleine. Nous n'en avons, ni personne, épuisé le contenu. Libre à nous d'y puiser jusqu'à la fin de nos jours. Jamais, de toute façon, ne se baigne t-on deux fois dans le même fleuve ; c'est le voyageur qui fait la trace, et les rencontres qu'il fait...

Toutes ces images un brin convenues interrogent notre rapport aux musiques du patrimoine. D'abord, toutes les musiques sont patrimoniales. En fait, tout est patrimonial. Ensuite, la nature orale, non figée, ouverte, changeante voire évanescente des musiques traditionnelles rend électrique notre équilibre. Prenez une chanson traditionnelle, faites-en ce que vous voulez : on pense écouter une vieille chanson, on écoute un fin arrangement de Malicorne. Ou d'Hamon Martin Quintet, avec un swing et des suites d'accords à faire chavirer le cœur, qui doivent tout à une « tradition » inventée dans les années 70. Dès lors, pour faire la part des choses, trouver la source, il faut autant une réelle culture en tradition, que de solides connaissances des vagues modernes qui ont, l'une après l'autre, façonné ce matériau où chacun peut puiser comme dans un moulin. Quant au passé, il coupe. Insondable par nature, il n'appartient à personne, et conserve ainsi son pouvoir de sidération.

Sillonner le temps, c'était déjà le projet de Claude Ridder, le personnage du film Je t'aime, je t'aime (Alain Resnais). Mais celui-ci finissait prisonnier de l'impossibilité d'aplanir les anfractuosités, les plis de la mémoire. 30 années d'expériences dans des temps postmodernes, nous ont amenés non pas à tout mélanger dans un intemporel salmigondis, mais aux clés d'une mémoire crépitante, porteuse d'étincelles. De sorte que parcourir le temps pourrait n'être pas qu'un moyen illusoire de fuir ou de regagner de l'espace, mais la porte ouverte sur une nouvelle dimension du savoir. Sillonner les fictions de la mémoire pour inventer de nouveaux langages, et regagner ainsi un futur confisqué.

Le projet MusTraDem m'apparaît donc toujours opératoire, dans ses dimensions créatives, pédagogiques ou participatives : pêle-mêle aujourd'hui Frères de Sac 4tet, le duo Brotto-Milleret, Djal, le projet In Situ et ses multiples déclinaisons, l'improvisation, les stages, la danse, le label, les projets de territoire...Tout cela n'est pas rien, mais n'a de sens qu'en recherche d'équilibre, dans un présent qui n'existe pas, en tension perpétuelle. Encore faut-il que la dimension collective perdure ; soyons nombreux à nous pencher sur ce berceau. C'est à ce prix que tout continue.

Tant il est vrai que nous autres musiciens, avons envers la musique traditionnelle le regard d'Orphée pour Eurydice : rêvant, en pleine course, de la voir nue, trébuchant entre temps et espace, nous nous retournons – mais pas trop : un écart, un flash pourrait nous changer en statue, et quant à elle la renvoyer – une fois de plus – au purgatoire des utopies.

Christophe Sacchettini
tofsac@mustradem.com 

 

  1. Maurizio Lazzarato, La fabrique de l'homme endetté (essai sur la condition néolibérale), Ed. Amsterdam, 2011

  2. Aussi bien cet angle politique n'est qu'une, parmi d'autres, des occurrences intimes et mouvantes qui articulent en nous, de la naissance à la mort, passé, présent et futur.

 

Au moment de boucler cet édito, je recevais cette photo (je jure que c'est vrai)


Fleurs de mémoire - Photo : Marie Mazille

 
STAGE D'ETE

Le stage Musiques Traditionnelles...ou pas aura lieu du 16 au 20 août à Bourgoin-Jallieu (38). C'est une formule hybride qui vous est proposée : ateliers en présentiel (accordéon diatonique niveau moyen avec Jean-Marc Rohart, chant avec Catherine Faure, violon avec Valère Passeri, musiques des Balkans avec David Brossier) ou en distanciel (accordéon diatonique perf. avec Stéphane Milleret, acordéon chromatique avec Patrick Reboud). 
Toutes les infos ici.

 

 

 
FRERES DE SAC 4TET

Le combo familial repart sur les routes cet été ! On les verra le 6 août au Festival les Bâties Sonnantes (Gresse-en-Vercors 38), le 21 août au Festival de la Cour du Vieux Temple (Grenoble 38), et le 20 août chez nos amis les chers valdôtains (qui sont pas si fous...) d'Etétrad, à St-Nicolas (IT).

 

 
SORTIE CD

Il est sorti le CD A la verticale, à l'horizontale de Marie Mazille et Adeline Guéret ! Des reprises trad, des chansons issues du confinement, plein de surprises sonores, un visuel magnifique, une pléiade d'invités mustradémiens (Frères de Sac 4tet, Fabrice Vigne, Norbert Pignol, Patrick Reboud...) ou issus de ce quartier un peu à part qu'est la Villeneuve de Grenoble. Et des voix, des voix, des voix ! Bientôt en vente sur la boutique. 

DERNIERE MINUTE : à peine sorti et mentionné dans la presse nationale, Siné Mensuel de juillet-août, merci Dror !!

Visuel : Mireille Burlat-Thomas

 
THIERRY RONGET

Quand il n'enregistre pas le CD A la verticale, à l'horizontale, Thierry est sur scène en binôme avec Benoit Olivier. Le spectacle Hep ! Crabouif, t'aurais pas vu Higelin ? jouera les 22, 23 et 24 juillet au Théâtre du Poulailler (le Percy 38), le 25 à La Grange Dîmière (le Pin 38), le 26 août à Grenoble au Festival de La Cour du Vieux Temple.

 

 
FLECHEBROUTE

Le profil FB de MusTraDem reste actif cet été ! Rendez-vous quasi quotidiens pour y suivre l'actualité des artistes du collectif : concerts, stages, clips, éditos...et de quelques-uns de nos amis.

 

 

 
COPINAGE

Eric Montbel nous annonce la réédition de son Carnet de notes pour la chabrette limousine et autres cornemuses du Centre. Réédité par l'AEPEM et le CRMTL, il comprend 200 mélodies pour cornemuse, en papier ou en streaming, issues des collectages d'Eric et réinterprétées par lui-même. Un must !

Le nouvel album de Margaux Liénard et Julien Biget sortira des presses cet été. Un répertoire éclectique, ces cordes et ces voix envoûtantes, et de surprenantes échappées vers les Etats-Unis.

Christian Oller nous offre une partie de ses collectes dans le Haut-Vivarais avec ce nouveau CD Dames d'Ardèche sorti récemment chez Phonolithe. 

Aquaplaning (spoken word et musiques hors-pistes) vous propose ici une chouette vidéo.

 

 
BOUTIQUE

Nouveautés AEPEM :

Los cinc jaus "Baissatz-vos montanhas"
Jean-Marc Delaunay "Violon / Le son de l'Artense"
Grégory Jolivet "Vielle à roue"
La Bricole "Jour de malheur"
Tres "Avanç'un pauc lo pas"
Duo Rivaud / Lacouchie "Zo !"

 
          
 
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