Mustradem - Musiques Traditionnelles de Demain
Newsletter #65 juillet août 2020
Édito Roselyne et Gaston sont dans un Bachelot

Dans un accès de masochisme, j'ai vu récemment Vive la crise. Vous souvenez-vous de cette émission mythique de février 1984 ? Elle prétendait initier les Français à l'Economie pour les Nuls. Yves Montand, en pleine bouffée libérale, flanqua ce soir-là la trouille (1) à 20 millions de télespectateurs en leur présentant une série de reportages ahurissants mais bidons, où l'on fabriquait des solutions uniques à des problèmes caricaturés ou carrément inventés. Par exemple, l'ensemble des syndicats et ouvriers d'une usine prétendument menacée par la faillite acceptait, la main sur le cœur, de renoncer à 50% de ses salaires. C'était beau ! Il s'agissait, bien sûr, de faire avaler à la France le « tournant de la rigueur »  mitterrandien de 1983. Laurent Joffrin, alors jeune journaliste à la manoeuvre, l'avoue benoîtement en bonus : c'était aussi une offensive de l'aile droite (rocardienne) du Parti Socialiste contre la doxa de l'époque. Une séquence en apothéose, hélas sans aucun humour, nous montre Margaret Thatcher en présidente de l'Europe, claquant des bisous à Ronald Reagan. Et dans un final grotesque, Papy Montand fait les gros yeux à la caméra et improvise une magistrale coda : « C'est vous, et vous seul, qui trouverez la solution ! Y a pas de sauveur suprême, y a pas de super-caïd, prenez-vous par la main, sachez ce que vous voulez, demandez-le, et ou on sortira de la crise, ou on aura la crise, mais dans les deux cas, on aura ce qu'on mérite ! » Il n'ajoute pas «...et je reviendraiiii pour vous emporter dans mon grrrand sac », mais c'est parce qu'il est pressé.

Bref, tout y était. C'était là le début de la potion néo-libérale qui nous pourrit aujourd'hui tout debout. La traduction, en discours élaboré, de la crise de 1974, gauche et droite main dans la main pour l'enterrement des 30 Glorieuses ; le début de la « gestion », de la « rigueur », sur le modèle thatchérien du « there's no alternative » ; c'était le début des réformes.

Ah, les réformes, nous en a-t-on fait bouffer ! Nouzautres zintermittents, en savons quelque chose. 1992 : les allocations deviennent dégressives, les carences sont allongées (2). 2003 : le funeste accord qui fait passer la période de collecte de travail d'un an à 10,5 mois, et invente le décalage, aberrant et injuste mode de calcul des droits. 2014 : nouveau protocole qui corrige un peu le tir en ouvrant à nouveau les conditions d'accès, mais plafonne les droits et impose une nouvelle formule qui entraîne une perte de 10 à 20% du revenu mensuel. Etc. Tout cela pour combler un prétendu déficit qui, pour le sociologue Mathieu Grégoire...n'existe pas (3). En réalité pour imposer un modèle salarial unique et parfaitement idéologique. Dont participe également la future « réforme » des retraites.

Ces tracasseries sont à mettre en parallèle avec la révolution numérique qui rend la vie dure aux intermédiaires, brouille les cartes des circuits de diffusion, et tend aujourd'hui à transformer l'artiste en super-entrepreneur. Comment ça, vous êtes pauvre à 50 balais ? Mais avez-vous bien mis toutes les chances de votre côté ? Avez-vous assez tizé sur Ioutioube ? vous demande-t-on aujourd'hui comme, autrefois, si vous aviez bien été au pot. Mais cher ami, il faudrait songer à prendre un deuxième métier, par exemple vendre des patates (c'est ce que me conseillait en 2003 une jeune comédienne exilée en Angleterre, en me traitant de privilégié), ou carrément vous reconvertir, je ne ne sais pas, moi, en tout cas sortez-vous les doigts, quoi. Et puis que voulez-vous que j'y fasse si vous êtes trop vieux, on passera tous par là.

Aussi pour lutter contre la déprime qui guette nos lendemains, je propose d'éradiquer carrément le mot « réforme » du dictionnaire de nos enivrantes pratiques ; ou plutôt de l'abandonner à ceux qui en ont définitivement tordu le sens. Il nous faudra en inventer un autre, qui désignera, quant à lui, les réformes positives : celles qui vont dans le bon sens.

Imaginez les titres :

  • « Le nouveau gouvernement d'Eric Piolle (maire de Grenoble) vient de lancer un projet de ruisselage visant à établir un salaire à vie généralisé »

  • « Et encore un projet de changiflette sur le partage obligatoire du travail »

  • « La Mairie de Paris (4) travaille sur une améliure de la circulation : il s'agirait de pouvoir laisser passer quelques voitures entre les vélos » 

  • « Nouvelle rassemblouille des programmes d'apprentissage : la gavotte de Grenoble rendue obligatoire dès la maternelle », etc.

Vous avez compris le truc. À vous, le concours est lancé. Ridicule ? Pas plus que de persister à vouloir plier la vie des vraies gens à un mot dont le sens agricole, joli retour de refoulé, désigne l'abattage des bêtes non productives.

Mais je sens que je vous perds, là. C'est bientôt l'heure du rosé-pamplemousse. Promis, dès la rentrée, mon vocabulaire de base redeviendra « pour ou contre le néo-trad », vidéos pédagogiques, cadences modales et sous-dominante mineure. Nous aborderons également le douloureux problème de la distanciation sociale dans les bals folk. Comment ça, vous préférez que je continue à parler politique ? Ah, ok.

Bon alors, et ton titre ? Oh, c'est tout simple : pour le Ministère de la Culture, ils voulaient Gaston Bachelard, mais il était mort, alors ils ont pris Roselyne Bachelot. Bonnes vacances.

Christophe Sacchettini - tofsac@mustradem.com

  1. Ce n'est pas une image : not'Président bien-aimé, Fabrice Vigne, avait alors 14 ans et en fut, m'a-t-il dit, durablement impressionné. D'ailleurs, si vous trouvez le ton de cet édito un poil primesautier, c'est sa faute : chargé de marquer la fin de son premier quinquennat par une homélie flamboyante, il a jeté l'éponge, m'obligeant à inventer au pied levé des bêtises pour vous divertir ou vous agacer. Il a une excuse : il a la tête prise par son dernier roman, remarquable.

  2. Mathieu Grégoire, Les intermittents du spectacle, enjeux d'un siècle de luttes, La Dispute, 2013

  3. http://www.ies-salariat.org/le-deficit-des-annexes-8-et-10-des-intermittents-nexiste-pas/

  4. sous la houlette de son premier adjoint Karim Zibat

 

PS : mon précédent édito n'était nullement une critique du passionnant article d'Etienne Bours sur la genèse de la chanson de Félix Leclerc Les 100000 façons de tuer un homme paru chez Cinq Planètes.

 
FRERES DE SAC 4TET

Le combo familial sort ce mois-ci un ultime "clip confiné", et non des moindres : une adaptation de la Toccata Arpeggiata de Kapsberger (1604), dansée dans son salon par notre amie Sylvie Guillermin. Likez, partagez : ceci est notre son !

 

 
VIDEOS PEDA

Toutes nos vidéos pédagogiques (accordéon diatonique, chromatique, clarinette, histoire de l'harmonie) sont en vente ici. La saison 4 des vidéos diato (Stéphane Milleret) sera disponible à la rentrée.

Les 5 épisodes suivants de l'indispensable série collective Histoire de l'harmonie (Mignotte / Milleret / Pignol / Reboud / Sacchettini / Sarzier) sont enfin disponibles.

 

 
LA PART DES ANGES

La sortie de l'année c'est La part des anges du duo Brotto-Milleret, et les clips qui vont avec. CD agréable au toucher, simple, de bon goût, efficaces et direct dans la face, les deux diatos qu'il vous faut !

 

 
FACEBOOK
 
COVID MEGAMIX VOL.19

On peut toujours se procurer la désormais célèbre compil dématérialisée Covid Megamix vol.19, projet fou de notre webmaster préféré Romain Marchand : 79 morceaux « confinés » du milieu trad français (avec plusieurs participations mustradémiennes), dont le bénéfice sera reversé à la fondation Hôpitaux de Paris-Hôpitaux de France.

Les vidéos sont visibles sur la page FB du projet, et l'album numérique est ici.

 

 
STAGE

Le stage d'été Musiques traditionnelles...ou pas est annulé, mais vous pouvez d'ores et déjà noter les dates du stage 2021 : du 15 au 21 août.

 
ALBERT ET ZEPHYR

Le tour de chant Albert et Zéphyr de Marie Mazille, accompagnée par Patrick Reboud et Christophe Sacchettini, se produira le 25 août au Festival du Vieux-Temple (Grenoble).

 

 
ART ET CULTURE CONTRE LE COVID

Ici la synthèse des résultats de l'enquête menée pendant 2 mois : l'impact de la pandémie sur les structures culturelles en France.

 
COPINAGE

Il est tout neuf, le site de notre copine Gustina – la coloc clown d'Isabelle Bazin !

Vient de paraître chez BNF Editions : Mélodies en vogue au XVIIIe s. / le répertoire des timbres de Patrice Coirault, somme révisée, organisée et complétée par Marlène Belly et le toujours jeune Georges Delarue.

Ici le kiss kiss du camarade Antonio Placer pour son prochain album Trovaores.

 
BOUTIQUE

Et enfin, vous qui n'avez juré pendant ces deux mois que par le commerce raisonné, bio, local et indispensable, notre boutique est faite pour vous.

 
          
 
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