Mustradem - Musiques Traditionnelles de Demain
Newsletter #57 mars avril 2019
Édito Assignée à résidence

La nuit dernière, j'ai fait un rêve. En fait, c'était un cauchemar. Va donc, on te connaît, tu adores ça, les cauchemars. Non non, les amis, ça n'était pas un rêve avec des zombies nazis qui me couraient après. Je vous explique : j'étais dans la peau d'Ariane Mnouchkine.

Rendez-vous compte. Cette femme âgée mais toujours munie de son énergie, de sa joie de vivre et de son foutu talent, non contente d'inventer son théâtre, a réuni et formé pour ce faire depuis plus de 50 ans des générations de jeunes comédiens, sans que personne ne l'ait accusée, en tout ce temps, de jamais péter plus haut que son cul.

Eh bien, voilà que cette femme qu'on pourrait prétendre exemplaire (1) si on ne craignait de recevoir un torchon dans les gencives, au seuil d'un âge avancé, se voit aujourd'hui accusée d'appropriation culturelle : elle s'est permis d'endosser un combat qui n'est pas « le sien ».

Préparant un spectacle sur les amérindiens, il aurait fallu, pour en avoir le droit, non seulement qu'elle les consulte (ce qu'elle a fait), mais qu'elle les mette sur scène. Sans se plonger dans le détail d'une affaire qui semble un peu tassée aujourd'hui, constatons que le thème n'en est pas nouveau. Hier c'était Jane Fonda froidement montrée du doigt par Jean-Luc Godard, dialoguant avec des populations victimes de l'impérialisme américain au Vietnam (2). Mais ce qui était pointé dans cette image, c'était une star se mettant en scène à l'écoute de l'humanité souffrante comme pour faire oublier sa condition. Aujourd'hui c'est la mère Mnouchkine, attentive depuis un demi-siècle à ne pas être récupérée par la toute-puissance du média, que l'on accuse de sortir de son bac à sable. C'est que, de nos jours, ça n'est plus le combat collectif qui fait sens, mais l'assignation identitaire.

En effet, il se peut que vous ayez un peu de sang belge, un poil de cul irlandais, un petit doigt juif, une grand-mère abonnée à Pif Gadget, que vous ayez grandi à Aubervilliers d'une mère astygmate et d'un père Auvergnat aimant la potée au ketchup, et que par-dessus le marché vous soyez musulman le jour et athée la nuit, bref que vous soyez comme tout le monde. Non, ce qui compte aujourd'hui, c'est votre identité (répétez). La vraie. Là où ça devient compliqué, c'est que celle-ci est à la fois unique, transcendante, mais définie une bonne fois pour toutes par le groupe auquel vous appartenez, auquel vous vous sentez appartenir. Et que tout cela doit prendre le chemin messianique d'une révélation, d'une libération qui doit, pour paraître à la face du monde, tout balayer sur son passage.

Mais alors le libre arbitre, le devenir, la complexité humaine, l'expérience, la rencontre, tout ce qu'on a lu dans les bouquins puis vécu de par la belle vie, tout ça n'est que pipi de labrador ? Bien vu, mon petit bonhomme. Les outils d'émancipation des années 1970 n'étaient qu'arsenal de mensonge et graine de dictature. Au volant de ta brouette identitaire, tu vas pouvoir te permettre d'exclure tous ceux qui ne poussent pas devant leur pauvre carcasse exactement la même que toi. De te faire passer pour une victime. De revendiquer un tas de droits, autres que ceux du voisin, dont tu es différent (répète : « vivre ensemble avec nos différences »). Et finalement de clouer le bec de ceux qui croient encore à des valeurs universelles (les droits de l'homme, le partage, le combat social, l'émancipation) comme ringards, racistes et vils salopards.

Et voilà comment des bonnes intentions, voire des faits racistes conjoncturels mais bien réels, peuvent se retrouver aujourd'hui englobés dans des miradors essentialistes et pervers (c'est un pléonasme) condamnant chacun a priori en fonction d'une appartenance à un groupe présumé, qu'on représente voire qu'on incarne. Vos ancêtres ont souffert ? Vous seul êtes qualifié pour en parler. Une bonne façon d'aller à la rencontre de l'autre, tiens. C'est pas ça, déjà, l'antiracisme ?

J'aime Mingus ? Bah non, j'ai pas le droit. Pourquoi ? Eh bien d'abord je ne suis pas noir, donc je ne suis pas victime de racisme. Ensuite je ne suis pas gros (juste un peu enveloppé). Ensuite (c'est absurde, mais on ne voit pas pourquoi ça n'irait pas jusque là) je ne suis pas contrebassiste, enfin je ne suis pas mort à 56 balais (enfin, pas encore). En fonction de ce raisonnement, me voilà, en tant que Savoyard, condamné à ne devoir aimer le chant breton que du bout des doigts, n'étant ni pratiquant dudit, ni breton (3). Merde alors, en tant que Français, je suis obligé de rendre un culte à Edith Piaf et Aznavour ? Autant vous dire que c'est pas gagné.

Bref, l'identité (pas la construction complexe qui nous interroge tous, mais le coup de tampon définitif dont les militants de la société racialisée arment leurs certitudes), c'est l'ultime drapeau du revanchard. Ces billevesées essentialistes nous reviennent en force aujourd'hui via les « Indigènes de la République « et tous ceux qui s'en réclament à gauche, pour qui tout se construit du point de vue du manque (4).

Et nous, qu'est-ce qui nous menace, nous et nos musiques ? Eh bien rien, mes petits agneaux. Parce que tout le monde s'en fout, de nos musiques traditionnelles, ou pseudo, ou néo, ou machin, sur le territoire français. Ce qui est assez paradoxal, m'enfin, nous avons l'habitude. Ça prouve au moins que nos musiques sont comme les autres : elles n'existent que si elles sont validées par un système économique. De quoi nous plaignons-nous ? Au moins personne ne nous caricature, ne nous assigne une place ou une identité qui ne serait qu'un dangereux premier pas vers de nouvelles prisons.

On pourrait arguer que ça serait justement à nous d'y réfléchir, à nos identités. A ce qui nous constitue. Mais quand on voit à quel niveau en est resté un des derniers numéros de Trad Mag (avant dissolution), numéro qui prétendait rassurer le lectorat sur le fait que non, juré-craché, les bals folk n'étaient pas un repaire de fachos (comme si on ne s'en doutait pas), que rien dans l'histoire des musiques trad ne pouvait, au grand jamais, passer pour le ferment d'une démarche qui tendrait à assimiler l'art au territoire en fermant quelque peu les oeillères (là, on n'en est pas persuadé), et que tous les acteurs des musiques trad françaises étaient bien encartés à gauche (comme si on ne s'en foutait pas un peu), quand on lit ça, écrivais-je 7 lignes plus haut, on a envie d'appeler à la rescousse une batterie de sociologues ou d'historiens pour nous regarder le nombril, n'importe qui pourvu qu'on ait, au final, à se mettre sous la dent quelques idées, quelques concepts consolateurs.

On peut déjà remarquer que ce « nous », plus personne ne le prononce ; hormis ceux (c'est le jour des paradoxes, ma bonne dame) qui se battent pour que cette identité commune ne soit pas, un jour, assignée à résidence comme elle a pu l'être autrefois.

Ensuite faire passer un message personnel : Ariane, en signe de soutien, si tu souhaites diffuser du DJAL ou du Frères de Sac 4tet dans ta prochaine créa, sers-toi, c'est open bar. Quant à nous, on cherche toujours du boulot. Hein ? Quoi ? Tu préfères la musique indienne ?? Ah ouais, d'accord.

Christophe Sacchettini
tofsac@mustradem.com

  1. il lui est arrivé, pour être honnête, de dire parfois des conneries : en 2003, elle a prétendu que la grève ne servait à rien, démoralisait tout le monde et qu'il ne fallait surtout pas la faire. Eh bien cela l'humanise ; sans cela elle serait parfaite et ça serait inquiétant.

  2. Letter to Jane, Jean-Luc Godard et Jean-Pierre Gorin, 1972

  3. même si j'aime les crêpes de blé noir, le kouign amann, le jambon industriel, et boire plus que de raison...
  4. Nous vîmes ainsi passer naguère aux assises du CPMDT un gars pour qui les danses trad françaises « manquaient » de mouvement, par rapport aux danses africaines, et que c'était bien là la preuve que ces danses ne s'étaient pas encore « décolonisées »...

 
L'HARMONIE EN 20 EPISODES FILMES

Toute l'histoire de l'harmonie en 20 épisodes filmés, c'est le pari 2019 de notre série de vidéos pédagogiques. Les captations auront lieu en public sur deux week-ends, les 8/9 mars et 29/30 mars, au Conservatoire Hector Berlioz de Bourgoin-Jallieu (38). Ouvert à tous. Il reste des places !

Infos ici
Inscriptions ici
Infos ++ : 
milleret.stephane@mustradem.com

 
STAGE D’ETE

Elles sont ouvertes les inscriptions à notre 28e stage Musiques traditionnelles...ou pasdu 11 au 17 août à St-Ismier (38).
Les nouveautés cette année : 
violon avec Valère Passeri et Improvisation dans les musiques modales occidentales avec Jérémie Mignotte.

 

 
STAGE D'AVRIL

Mydriase et MusTraDem préparent un nouveau stage pour les vacances de Pâques 2020. A cet effet, nous avons mis en place un sondage pour vous permettre d'exprimer vos préférences entre 6 ateliers proposés : danse (Geneviève Chuzel et un musicien), écriture de chansons (Marie Mazille et Fabrice Vigne), accompagnement (Patrick Reboud et Stéphane Milleret), master-class en impro (l'équipe du stage d'impro en alternance), MAO (Thierry Ronget, Norbert Pignol), musique d'ensemble (Simone et Nicoló Bottasso).
Vos réponses sont importantes ! C'est ici, et ATTENTION : vous avez jusqu'au 15 mars !

 

 
FRERES DE SAC 4TET

Leur clip officiel (Lisières) sous le bras, ils retourneront jouer sur les (magnifiques) lieux du crime, à la Grande Fabrique de Renage (38) pour un concert le 7 avril, puis en bal à Eurre (26) le 13.

https://www.facebook.com/Frères-de-Sac-4tet-196996980822686/

 

 

 
CLIPS EN VRAC

N'oubliez pas avant de partir de passer par notre chaîne Youtube ! Vous y verrez nos derniers clips, très beaux tous les 3 : Lisières (Frères de Sac 4tet), Ça mousse / route 87 et Sur les quais (duo Brotto-Milleret). Partagez, partagez !

 

 
CHRISTOPHE SACCHETTINI

Il parlera de l'expérience In Situ Villeneuve dans le cadre des Rencontres Pro du Festival Eurofonik à Nantes et Bouguenais (44) le 15 mars.

 

 
GROENLAND MANHATTAN

Suite de la tournée « success story » du BD-concert proposé par Stéphane Milleret et Sébastien Tron le 21 mars à Echirolles (38), le 22 mars à Genas (69), le 28 à Rumilly (74), le 13 avril à Dax (40).

Infos ici 
Calendrier ici 

 
PIGNOL / PLASSARD

Débatailles, c'est reparti ! L'excellent spectacle de la Cie Propos / Denis Plassard reprend la route avec à l'équipage musical toujours Quentin Allemand, Jean-Paul Hervé et Norbert Pignol. 19 mars à Annecy (74), 29 et 30 avril à Amiens (80). Les perruques vont voler !
Enfin le CD cette année, peut-être ?...

Et pendant ce temps Rites continue sa route en duo, le 14 avril à Millau (12).

 
NATACHA EZDRA

Elle continue inlassablement à chanter Ferrat Un jour futur, toujours accompagnée de Patrick Reboud, Yves Perrin et Christophe Sacchettini, le 21 avril à Loubeyrat (63), le 27 à Sorgues (84).

DVD du concert Paris 2015 toujours à la boutique.

 
COPINAGE

C'est aujourd'hui (8 mars) que les Antiquarks sortent leur étonnant clip Bob Marley est mort, "vidéoclit andro-féministe" issu de leur dernier album Lune Bleue, "contribution masculine à la critique de l'ordre arbitraire masculin". Ce sont bien eux deux, Richard et Seb avec la danseuse Audrey Nion, et dans les décors un petit quelque chose du Bertrand Blier de Calmos et du Fellini de la Cité des Femmes...

Nos amis de Trad O'Pieds organisent un stage Danses festives à travers l'Europe le 31 mars à l'Isle d'Abeau (38). Infos ici 

Olivier Richaume nous invite dans sa nouvelle Maison du Violon, qui ouvre ses portes ici. Connaissant le gaillard, on devrait apprendre des choses et aller de surprise en surprise.

L'ami guitariste Jean-Paul Hervé nous présente son nouveau projet Ligne B : collectage sonore dans le métro lyonnais et création musicale. Il vous reste quelques jours pour soutenir le projet ici

Enfin, c'est bientôt le retour du sympathique festival Trad en Mai à Lyon, du 9 au 11 mai, infos ici.

 
LA BOUTIQUE

La nouveauté maison

Trouveur Valdotèn "Noé Novel" - CD

La nouvelle nouveauté

Antiquarks - Lune bleue - CD avec ou sans calendrier des lunaisons 2019

Les galettes de l'AEPEM

Jean Blanchard - CD - Au vrai chic berrichon
Hervé Capel - CD - Accordéon chromatique, Bourrées d'Auvergne et du LImousin
Michel Nioulou - CD - Vielle à roue, Musique traditionnelle du Charollais et du Brionnais
Arnaud Bibonne - CD - Bohaussac
Yannis Duplessis - CD - J'ai pris la fantaisie

Vous qui entrez ici, laissez votre carte bleue.

 
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