Newsletter #37 | novembre décembre 2015 |
Édito Tout se transforme (ou pas) | |
A MusTraDem, nous avons un Facebook. On m'a convaincu qu'on ne pouvait plus s'en passer. Un peu comme Myspace il y a 10 ans (on ne rit pas). Ou comme les lèvres en biseau (1). Il s'avère que pour l'instant c'est utile à un tas de choses. Y compris à se faire traiter de noms de volatiles par des types qui ne nous aiment pas. Pas un mot pour rentrer dans un débat, dans la complexité d'un processus de travail. Ces gars-là, leur rhétorique est en acier trempé : 1/ ce que vous jouez n'est pas beau. 2/ Donc, ce n'est pas bien. 3/ Donc, y faut pas le faire. Comme ce sont là des philosophes, ils vous ramènent en contrebande ce vieux Platon : ce qui est beau est bon, et ce qui est bon est souverain. C'est la porte ouverte à un corollaire gênant : la transcendance (2). Car abriter ses goûts personnels derrière des critères à deux balles élevés au rang universel, par les temps qui courent, vous conviendrez que c'est un peu rabougri, voire dangereux. Car évidemment, vous dénaturez la tradition, et seule l'authentique pratique solitaire et gningningnin (3). Et à ce stade, ça n'est pas qu'on ne veut pas discuter. C'est juste que les bras nous en tombent sur les pieds. Parce que Platon, lui, même si, comme précurseur du christianisme, il nous emmerde depuis 2000 ans, il a tout de même écrit le Banquet. Ou le Phèdre. Peu importe. La première phase du projet In Situ touche à sa fin. La réussite du concert de restitution du 1er octobre et, au-delà, de l'opération, n'est pas étrangère au fait que pendant 2 ans nous avons rencontré, organisé, collecté, enregistré, joué chez nous, dans un quartier vaste, aéré, surprenant et métissé. Nous y avons fait des scènes ouvertes, des sessions, lecture musicale, projections, du mix en direct, une exposition… Nous n'étions pas missionnés pour faire de la pédagogie mais pour jouer avec des gens dont aucun n'a le même degré de relation à la musique que son voisin. Nous avons surtout, en fait, rencontré des chanteurs. De tous âges et origines. Qui nous ont offert des choses très diverses, allant de la varièt' US ou arabe à de la comptine congolaise ou du chant traditionnel iranien…sans parler des compositions originales. Allions-nous, pour chacun, viser une "authenticité" dont la difficulté d'une définition commune dit bien le caractère relatif, voire imaginaire ? Bien sûr que non. En revanche, nous avons fait 1/ des recherches sur les "autres versions" - à défaut de l'origine - des chansons. 2/ ce que nous savons faire : de la musique avec des outils dans la brouette, avec nos instruments plus ou moins lavés de leur culture : accordéon, clarinettes, nyckelharpa, flûtes, cornemuses - et des machines pour faire émerger des paysages sonores. Bref, nous avons fait du folk. Accompagner des chanteurs ! Nous qui nous étions fait une spécialité d'utiliser nos instruments comme des cordes vocales, je n'ai réalisé que peu à peu à quel point ce bel exercice nous rapprochait des premiers âges du folk français, celui que je préfère : les expérimentations bordéliques des années 70. Les métissages naïfs, les mariages sonores saugrenus - toute la marmite libertaire dans laquelle les folk-rockers anglais ou les freejazzmen français s'étaient si joyeusement mis à poil. Aujourd'hui, après deux ans à observer du patrimoine se réinventer à mesure qu'il se déterre (4), je relis ainsi d'un oeil neuf ces rencontres, certaines parfois anciennes, avec Montanaro, Hayet, Yacoub, Nass, Lisou, Pierron, Isabelle Druet, Hal, Catherine, Antonio, Sayon, Moustaki ou Natacha ; ces moments, rares, frustrants parfois, mais précieux, de caresse de la voix humaine. Tout ça pour ça ? Dédale, Obsession, Aquartet ? Les groupes instrumentaux, l'impro flamboyante, le papier à compo tous azimuts, les stages, le néo-trad et tout le bazar ? Vous vous êtes accompagnés vous-mêmes pendant 25 ans pour découvrir aujourd'hui le bonheur d'accompagner les autres ? Vous n'auriez pas pu y penser plus tôt ? Là, nous y voilà, je savais que vous finiriez par m'énerver. Je m'en vas le fermer, ce Facebook. |
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Christophe Sacchettini - tofsac@mustradem.com |
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1) Voir mon édito de novembre 2014, suivez un peu, sacrénom ! (2) N'y voyez surtout pas une attaque contre les corollaires bouchés ! (3) Ce qui, de la part de gens qui en général jouent de l'accordéon, fait particulièrement rigoler… (4) Finalement, ce bon vieil emmerdeur de Socrate (porte-parole de Platon) aura au moins servi à ça : car qu'est-ce que la maïeutique, sinon une méthode d'accouchement de deux âmes par le dialogue, et que faisons-nous d'autre que de la maïeutique musicale ? A lire en lisant : Fabrice Vigne boucle son blog et ferme sa boîte. Comme mec de droite, je m'en branle à deux mains : nouveau président de MusTraDem, il aura plus de temps à consacrer à nos activités. Comme citoyen et lecteur assidu, je m'en désole : que d'humour, d'intelligence, de culture, de malice et de bonté seront désormais réservés à sa famille et à ses seuls amis ! |
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