Newsletter #22 | mai juin 2013 |
Édito Se tromper de livre, on a le droit aussi | |
Je me trompe rarement. Voire jamais. Ceux qui me connaissent savent que je n’en retire absolument aucune fierté. C’est avant tout le fruit d’une éducation. Au Conservatoire dans les années 70, quand on se trompait, on était mis à rôtir dans le réduit, sous le vieil escalier (1). J’ai donc cessé de me tromper. Non seulement j’ai vite arrêté de poser mes doigts n’importe où, mais je suis également devenu infaillible dans les nombreux domaines de prédilection qui sont les miens, sur lesquels je ne m’étendrai pas aujourd’hui. C’est rapidement devenu insupportable. En fait, las du culte du Beau à la manière classique, je suis venu à la pratique du Folk en quête brûlante d’approximation, de brouillon, de tremblé…toutes ces notions si bien chantées à la même époque par Roland Barthes, en phase sans le savoir avec tout un mouvement culturel dont le pauvre était bien loin d’avoir idée. Là, chez soi, dans les ateliers et surtout sur scène, on avait le droit de se tromper. On en usait d’ailleurs généreusement, avec d’autant moins de parcimonie que cela ne semblait choquer personne ; sous cet angle en particulier, je ne fus pas déçu. Enfin, après 10 ans d’études assidues sur le terrain, je rencontrai là les futurs membres du Collectif MusTraDem, tous, bien qu’autodidactes, affectés de la même maladie que moi, et nous pûmes ensemble, au grand jour, cesser de lutter contre nos natures, et nous adonner avec ivresse à nos manies coupables : jouer, autant que possible, les bonnes notes au bon moment. Enhardi par nos premiers succès, je fis mienne, avec les années, cette opinion : faire de la belle musique (2), appeler ça traditionnelle de demain pour faire jaser autour du feu à St-Chartier (3), tout cela est bel et bon, mais (spoiler : attention, là j’arrête de dire des bêtises !) ça ne me suffit pas. J’ai souvent été effaré par l’absence de pensée critique, appareils théoriques et autres travaux de sociologues – en-dehors de la musicologie pure – qui tendraient à replacer ces musiques dans leur réalité actuelle : celle d’un contexte, d’un milieu, de gens vivants, travaillant, fabriquant et évoluant en capillarité avec le vrai monde ; à considérer comment ces musiques, aujourd’hui, fabriquent leur propre Histoire, leurs mythologies, rites, clichés et structures complexes. Qui n’ont plus rien à voir avec les contextes de production artistiques passés. C’est un bel avatar de l’ignorance dans lequel un pays entier tient évidemment une partie de ses racines, mais il m’a toujours semblé qu’à trop les exhiber comme elles ne sont plus, on oublie de les montrer comme elles sont encore (4). J’en étais là de ce prurit d’indignation – de moins en moins juvénile - familier aux 3 fidèles de ces éditos, quand je m’avisai des travaux de Michel Maffesoli, sociologue auteur dans les années 80 d’un livre intitulé Le temps des tribus – Le déclin de l’individualisme dans les sociétés de masse (5). Mon cortex ne fit qu’un tour : les dites tribus, c’est nous ! Celles dont naissent les formules magiques d’un temps, sans artistes maudits d’un côté ni fantasmes populistes de l’autre, les sources vives de la démerde créative, le trait d’union entre local et global, tout ça… Et comme un précédent opus du chercheur répondait au doux nom de L’Ombre de Dionysos – Contribution à une sociologie de l’orgie, j’allais, je n’en doutais plus, découvrir tout ensemble un nouveau Nietzsche, un nouvel Onfray, soucieux des marges culturelles d’une société, désireux d’y mettre le doigt et goûter ce qui s’y fabrique ! Sans crainte du tempérament inégal, de la gadoue, de relents de folklore ou de la gavotte de l’Aven-caresse !! Un décrypteur des magies actuelles, un sage en somme, capable également de me dire si nos musiques sont de droite ou de gauche ou les deux mon Général ou autre chose ; ou ce qui fait que des individus se réunissent pour inventer ensemble quelque chose qui dépassera la somme de leurs envies mais marquera, pour un temps, une génération ! Las. Je fus bien douché. Une belle profession de foi : « proposer une sociologie vagabonde qui en même temps ne soit pas sans objet » (raté). De belles intuitions (« l’éthique de l’esthétique »). Un recours constant au dionysiaque (la tribu qui innove opposée à la masse abstraite qui subit) et à la « spiritualité matérialiste » servent d’alibi à l’absence de perspective politique. Quelques formules (« Les barbares sont dans nos murs. Mais faut-il s’en inquiéter puisque pour partie nous en sommes ? ») et blablas vitalistes sentant bon leur sociologie de l’Imaginaire, à deux doigts du mysticisme, (« le génie du lieu, ce sentiment collectif qui façonne un espace », etc.) d’autant plus suspects qu’absolument aucune étude de milieu ne les étaye. Au final, le gaillard semble fasciné par les hard-rockers en cuir, mais uniquement au prisme de l’idée qu’il s’en fait. A ce compte-là, on n’est pas pressé de l’entendre parler de nos musiques avec la rhétorique fumeuse de la défunte revue Planète (6). Pas d’amertume. Lire c’est comme respirer, ça fera toujours pulser quelque turbine ici-dedans. Mais d’éclairage conceptuel sur nos nocturnes et éternelles volte-face, dévorés par le feu (7), bernique. Nous devrons nous résigner à reprendre cet été la route des festoches sans en savoir davantage. Qu’y faire ? Nous mourrons à jamais incultes sur nous-mêmes. Allez, va ranger ta chambre. Et quand t’auras fini, t’iras bosser ton instrument. Oui, le truc à deux balles (folk), en plastique. |
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Christophe Sacchettini - tofsac@mustradem.com |
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(1) Vous étiez rarement sans croiser là un élève oublié, avec qui vous pouviez jouer aux osselets ou répéter la Danse Macabre de Saint-Saëns. C’était chic ! (2) même si des années de rééducation classique, n’ayant (presque) rien à envier aux pratiques de la Chine Populaire (également très prisées chez les intellectuels de gauche des années 70), ont à jamais effacé de nos doigts ou de nos gorges le phrasé rude et guttural de ces brioleurs berrichons enregistrés par Ferdinand Brunot en 1913… (3) Oui, en ce temps-là St-Chartier était à St-Chartier, et on avait le droit d’y faire du feu. Renversant. (4) On en reparlera, vous perdez rien pour attendre (5) Le Livre de Poche – Biblio Essais, 1988 (6) Il fit par la suite couler de l’encre pour avoir dirigé une Thèse consacrée à l’Astrologie, et on le vit sur les plateaux de télé en 2011 assurer la promotion d’un livre sur Nicolas Sarkozy : la sociologie de l’irrationnel et de l’aberration semble n’avoir chez lui aucune limite… (7) Attaquer une valse endiablée après ingestion massive de grappa valdôtaine est une belle remise à jour de l’antique palindrome In girum imus nocte et consumimur igni… |
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