Newsletter #17 | juillet août 2012 |
Édito On respire | |
« Peut-être que les événements n’existent pas si personne ne les écrit. » On a pu lire ici où là, pendant la campagne pour les Présidentielles, et notamment bien en vue dans les pages « culture » du programme du Front de Gauche : « Abrogation de la loi de 2003 sur l’assurance-chômage des intermittents du spectacle et création d’un système mutualisé pérenne» (1). Si la proposition est alléchante et donne envie de reprendre une bolée de cidre, elle est parfaitement démagogique : le protocole relatif au régime d’indemnisation des artistes et techniciens du spectacle émane de l’Unedic, un collectif géré paritairement par le patronat et les syndicats. C’est dire si l’Etat n’y impose pas une décision en claquant des doigts. Néanmoins, penser que le politique ne dispose pas de moyens d’intervention ou du moins d’arbitrage, c’est se moucher avec du papier à cigarettes. Au pire, nous avons vu en octobre 2006 le président de l’Assemblée Nationale lui-même (Bernard Accoyer, jean-foutre !) utiliser des artifices procéduriers de tricheur de coin de bois pour bloquer une proposition de loi sur le sujet, qui avait eu le mérite de mettre d’accord un nombre record de députés, de droite comme de gauche. A cet égard, l’Unedic est un service public comme un autre, dont l’activité témoigne du coeur d’une société, toute en relations complexes, en interdépendances inquantifiables. Choisir de la gérer en isolant délibérément un secteur qu’on va prétendre « déficitaire » (chez moi, le secteur « papier wc » est structurellement déficitaire si je l’isole de l’économie générale), comme vient de le faire un rapport de la Cour des Comptes présenté par Didier Migaud en personne (PS, ex-maire de Seyssins – 38) en préconisant bien évidemment comme solution-miracle des coupes drastiques, c’est agir avec les forces sociales et culturelles du pays comme l’Europe agit avec la Grèce (2). C’est vociférer comme Jean-Marc Sylvestre contre les « gaspillages » de l’Hôpital public avant que celui-ci lui sauve la vie. C’est balancer la bombe sur Fukushima et rester assis dessus en sifflant When Johnny comes marching home. Il y aura l’an prochain 10 ans depuis cette « réforme » concoctée par le Medef et approuvée in fine par une CFDT en mal de léchage de fesses. Ah, 10 ans…souvenez-vous (3) ! St-Chartier 2003 ! Ce public avec nous ! Cette cohorte de manifestants, cornemuse en bouche, prête à prendre le château ! Toutes les barrières de classe renversées, le trad comme ciment de lutte, l’union sacrée contre l’oppression ! Trêve de rigolade. Si le mouvement de l’été 2003, comme mai 68, fut un fiasco à court terme (nous n’y avons rien obtenu, faute de définir et appliquer une stratégie), ce fut pourtant, comme mai 68, un formidable brassage humain, et surtout (auto)-pédagogique (4). A savoir : plus personne aujourd’hui, citoyen ou élu, ne peut prétendre sans se moquer du monde ignorer le formidable poids de l’industrie culturelle dans la vie économique du pays. Ce dynamisme, que le monde entier nous envie – la France est la première destination touristique au monde - est aujourd’hui encore scandaleusement sous-évalué parce que ça arrange certains de penser que les artistes se nourrissent d’amour et d’eau fraiche, ou que la chaîne économique de la culture repose sur une poignée de créateurs maudits enfermés dans une tour d’ivoire. Et que 95% des hommes politiques s’emploient, consciemment ou non, à entretenir cette ignorance. Tout le reste est littérature. L’appréciation de l’autonomie d’Aurélie Filippetti, même si ça vous a une meilleure gueule qu’un Frédéric Mitterrand et tous ses prédécesseurs aux ordres, est une question secondaire, qui nous amène à penser que le régime des intermittents reste une « spécificité française », un truc folklorique, oui oui. On verrait mieux son potentiel si demain il était revendiqué par tous les salariés qui glissent de jour en jour dans la précarité. L’Europe citoyenne s’honorerait, ce jour-là enfin, ils sonneraient beau à l’air libre, les binious. Ah, évidemment, à Gennetines sur les parquets en plein mois de juillet, parler d’économie culturelle ça ne fait pas très tendance ; ça sent un peu son Wall Street et son Grand Capital. Or, si le retour de la « gauche » (5) aux affaires n’agite pas dans nos têtes des questions aussi cruciales que celles du temps libre, du partage, de la création, de l’espoir, de la nouveauté, si toutes ces questions n’ont pas étroitement à faire avec nos musiques, et le rôle qu’elles pourront jouer dans les années à venir si nous ne les renfermons pas dans leur cages folkloriques à peine celles-ci ouvertes, par négligence ou refus de les porter sur la place publique, elles et la société d’hier et d’aujourd’hui que ce pays refuse de regarder en face (bientôt finie la phrase), nous sommes de bedonnants benêts… qui ne méritons que de jouer des celteries dans un zoo à touristes. En tout cas, à MusTraDem nous avons envie d’y croire. La preuve ? En juillet sur France Culture, l’ami Montanaro nous emmène à la découverte du néo-trad. Si c’est pas du changement-c’est-maintenant, ça !! Allez, une bolée de cidre. |
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Christophe Sacchettini - tofsac@mustradem.com |
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(1) Pour les rédacteurs du programme de Jean-Luc Mélenchon, c’était carrément dans la rubrique « Agir tout de suite » : hop ! Nettoyez-moi toute cette racaille d’employeurs rapaces du spectacle et qu’on n’en parle plus ! (2) « La Grèce, c’est une espèce de grammaire avec une syntaxe que nous pouvons lire », dit mon ami Antonio. (3) …ou pas. Que faisaient les lecteurs actuels de cette Lettre en 2003 ? Votaient-ils ? Dansaient-ils ? Aimaient-ils ? Quelle trace cette année leur laissa-t-elle ? Sable des temps, quel rythme inconnu préside à ton écoulement ? (4) Il faut ici saluer le travail de la CIP-IDF, Coordination des Intermittents et Précaires d’Ile-de-France, devenue un véritable collectif de réflexion, d’information et d’action bien au-delà de 2003. (5) Un petit salut aux manifestants de l’aéroport Notre-Dame-des-Landes à Nantes, avec Ayrault à la tête du gouvernement ils n’ont pas fini de chanter « On ne veut pas de tant de tant, on ne veut pas de tant de fer » … |
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