Newsletter #13 | novembre décembre 2011 |
Édito Le CPMDT | |
(Engagez-vous, rengagez-vous) Il est vrai qu'à la fin tout meurt également. Une des questions souvent entendues dans les divers mouvements auxquels j’ai timidement participé, c’était : « On ne comprend pas que les artistes ne s’engagent pas plus » (sous-entendu « avec le pouvoir que vous avez »). S’engager, la belle affaire. Je me souviens des discussions rue St-Laurent, dans le petit bureau froid de la Coordination grenobloise des Professionnels du Spectacle après le mouvement de l’hiver 1997 (à 5 autour d’une cafetière pas lavée) : réfléchir à si nous étions des artistes, des musiciens, des professionnels ou des chômeurs pouvait nous occuper un certain temps. Vous imaginez la banderole « artistes en colère » ? Dans les manifs, nous étions ridicules. Ou plutôt, nous l’aurions été si on nous avait remarqués. De fait, il a semblé en diverses occasions que l’artiste est un animal qui répugne à se mélanger à ses semblables. J’ai quant à moi, toujours eu de grandes difficultés avec les prises de parole sur scène, devant un public perplexe ou déjà convaincu, les motions et manifestes triomphants dans la déroute, unanimes et la main sur le cœur, à quoi s’est parfois résumé le mouvement de l’été 2003. Sauf que le problème de l’action collective reste entier. Dans le milieu des musiques traditionnelles, personne ne milite. J’entends par là que, le « milieu » n’étant pas structuré professionnellement, il n’est pas identifié comme une corporation (1), et celui qui milite le fait alors en son nom propre, mais sans le soutien d’un appareil collectif inexistant. Notre interlocuteur direct, en l’occurrence, c’était l’Unedic. Ça tombe bien, c’est à lui qu’on en avait…en premier lieu. Mais alors, me direz-vous, pourquoi faire grève ? Et comment ? Voici quelques-unes des questions qui nous agitaient à St-Chartier en juillet 2003. Qui ? Jean-François Vrod, Stéphane Milleret, Marc Anthony, Isabelle Bazin, Miquèu Montanaro, Jean-Pierre Aufort, et d’autres, dont des membres du collectif MusTraDem, et quelques grands anciens à moustaches (Jean-Pierre Yvert, Jean Léger). Comme nous étions tout heureux d’avoir rencontré de nouveaux amis et qu’on ne pouvait pas se quitter comme ça, nous avons, quelques mois plus tard, déposé les statuts du CPMDT (Collectif des Professionnels des Musiques et Danses Traditionnelles). Une fois la fièvre estivale retombée, nous nous sommes assez vite retrouvés à 10 dans un douillet atelier à Fresnes, autour d’une cafetière prête à servir. Nous avons alors, peu à peu, abandonné les problématiques de gestion de crise, pour passer en revue les us et coutumes de ce « milieu » fantomatique auquel nous nous sentons tous, peu ou prou, rattachés. Même si et paradoxalement, bon nombre d’entre nous n’y accomplissent pas, loin s’en faut, tout leur temps de travail. Et qu’avons-nous fait ces quelques années ? Eh bien, nous avons regardé ce qui cuisait dans la marmite des musiques traditionnelles, et en quoi le fumet de cette marmite pouvait mettre l’eau à la bouche à toute la cuisine. En d’autres termes : en quoi les musiques et danses traditionnelles sont-elles constitutives du paysage musical français ? Quels phénomènes sociaux se font jour à travers ces pratiques, et pourquoi ne concernent-elles ni les médias, ni le « grand public » ? Comment contribuer à une meilleure lisibilité ? Qu’est-ce qui nous rassemble à travers nos expériences, nous qui n’avons pas le même âge, ni le même CV ? Le rapport moral 2011 du Président, consultable ici, résume parfaitement quelles épices nous avons dû inventer pour relever le plat, de quel grain de sel nous faisons nos retrouvailles. A ceux qui nous disent parfois : « traverser la France 3 ou 4 fois par an pour déblatérer avec des amis dans un local frais en été et chaud en hiver, je peux le faire plus près de chez moi » (…et qui n’en font rien), nous répondons, suivant un usage rhétorique bien connu (2) : si cela ne servait à rien, nous ne l’aurions pas fait non plus. Comme tout le monde, nous n’en avons ni le temps ni les moyens. Le fait est qu’en 8 ans, nous avons inventé des structures, des dispositifs, rencontré des institutions, des partenaires, et concrètement créé des emplois. Nous nous sommes bougé le cul, réchauffé le cœur. Nous avons créé de cette plus-value humaine, artistique, et non quantifiable, dont la droite s’évertue à nier l’existence – pour mieux en empocher les bénéfices. Nous avons, sans toujours nous en apercevoir, beaucoup appris. Et nous avons bien rigolé. Au fil des années, certains sont partis, d’autres nous ont rejoints (là c’est plus dur, on prend un coup de vieux, surtout s’ils sont jeunes et beaux). On aura compris que la porte est toujours ouverte. Ainsi la notion d’engagement prend pour nous tout son sens : prendre fait et cause pour des combats lointains, c’est cautionner des stratégies qui souvent nous dépassent, parfois nous instrumentalisent. Et c’est souvent pour les artistes le moyen de se dédouaner, par de stériles et généreux bavardages, des conséquences bien réelles de leurs actes – ou de leurs non-actes. Agir, à l’inverse, au plus près, sur nos conditions de travail, c’est parler de ce que l’on connaît ; c’est partir de l’idée que, dans les pratiques modernes de nos musiques, à la fois autarciques, souterraines, et transversales, chacun est rendu, finalement, à sa condition de citoyen. Rien de tel, justement, pour assumer une liberté pleine et entière, que d’imaginer, comme les ouvriers d’autrefois, que la musique, c’est plus que la musique. |
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Christophe Sacchettini - tofsac@mustradem.com |
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CPMDT : http://www.cpmdt.fr/ PS : pour que chaque Français contribue, sans aucune proportion avec ses moyens (les riches raqueraient plus que les pauvres, et c’est ça qui serait inégalitaire), à rassurer les « marchés » et leur capacité hors du commun à plonger chaque jour un peu plus l’Europe dans le chaos, le gouvernement préparerait une hausse de la TVA « basse » (aujourd’hui 5,5%), à 7%. Si elle se confirme, cette hausse se répercutera, entre autres, sur les prix de vente des spectacles des petites entreprises artistiques…dont la nôtre. Les sbires de l’équipe Sarkozy-Fillon, qui décidément n’en aura pas raté une depuis 2007, eux, sont bien à l’abri : seule une taxe massive sur la connerie les mettrait à terre pour longtemps. Allez, messieurs, encore un petit effort. (1) le sociologue de l’art Pierre-Michel Menger, dans son petit opus Portrait de l’artiste en travailleur (Seuil, 2002) analyse avec raison les contradictions d’un système qui s’appuie sur des usages ultra-libéraux (flexibilité, précarité, isolement…) et les fait encadrer par les partenaires sociaux (l’assurance-chômage) au bénéfice des salariés mais surtout des employeurs – unique raison pour laquelle ce système d’exception est toléré. (2) la maïeutique : l’invention d’un interlocuteur ignorant ou sceptique pour le plaisir d’avoir toujours raison - ce bon vieux Socrate était champion toutes catégories en la matière… |
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