Newsletter #07 | novembre décembre 2010 |
Édito Retraites (suite) : les maîtres du temps | |
« Et c'est vieillir que de ne plus mourir, ne plus partir en vrille » (Jean-Luc Godard, poète) Un des clichés que véhiculaient, avant 2003, les gens mal informés sur les professionnels du spectacle : " Ils travaillent 43 jours par an ". Si des artistes s'en sortent comme cela, grand bien leur fasse. Nous n'en connaissons pas. Le temps rendu disponible, en retour de cette contrainte, nous l'avons utilisé d'abord à nous organiser en collectif. Mettre en place des outils administratifs. Puis, soigner le réseau qui nous a permis, au fil des années, d'élargir nos compétences, rencontres et compagnonnages. Travailler, jouer, composer, écrire, inventer, enregistrer bien sûr, mais aussi voyager, enseigner, explorer les marges. Chercher l'angle, la bonne distance, le point de vue. En changer. Toujours avec cette idée : ce que nous voulons récolter dans les années à venir, c'est maintenant qu'il faut le semer. Et en filigrane : la musique, c'est plus que la musique. A cet égard, nous défendons l'idée que le milieu des musiques et danses traditionnelles n'est pas différent des autres par nature ; si ce n'est que, peu visible des médias et du " grand public ", il reste tributaire d'un terreau amateur et, de fait, en résonance indirecte mais réelle, avec les problématiques sociales rencontrées sur le territoire (1). Cette apparente différence ne doit pas nous masquer une évidence : le saccage des acquis sociaux méticuleusement orchestré par le Medef et les bandits de grands chemins qui nous gouvernent aujourd'hui, avec la bénédiction ponctuelle d'une partie de la gauche et de certains syndicats prêts à signer n'importe quoi pour continuer à occuper le terrain, ce massacre dont le pays mettra des années à se relever, au-delà des questions corporatistes, tourne autour d'un enjeu - et d'un seul : la question du temps. Aujourd'hui, chacun de nous est maître, en théorie, d'un temps situé dans les marges de son emploi - et de sa vie de famille. Comment occuper des millions de chômeurs dans un pays où le plein emploi devient une chimère ? En les culpabilisant. En montant les catégories sociales et socio-professionnelles les unes contre les autres. En leur faisant croire que leurs allocations sont, non un droit supplétif à un emploi perdu, mais un avantage volé aux générations futures. En réalité nos salaires symbolisent bien des promesses : la dislocation du rapport travail / salariat, une base d'organisation collective indépendante des institutions, un modèle pour d'autres catégories de travailleurs partout dans le monde. Telles sont les menaces qui pèsent sur nos gouvernants, ces tristes technocrates dont chaque minute est comptée, pesée en fonction d'un but. Il est des époques où la réalité ressemble à sa caricature. Toutes ces richesses non quantifiables sont étroitement liées au rapport du temps particulier au temps collectif, à la souplesse gagnée d'un rapport au monde (2) - question qui justement irrigue la plupart des enjeux esthétiques de la modernité artistique depuis 1914. Dans le film de Ridley Scott, Blade Runner, l'androïde-assassin en révolte joué par Rutger Hauer, programmé pour s'autodétruire à échéance inconnue, cherche à connaître son terme. Paradoxalement, au lieu de céder à la panique et à la vitesse, il utilise pleinement le temps dont il dispose en s'exprimant lentement, posément, en grappes de mots mesurés, articulés de silence (3). Tout aujourd'hui, me ramène à la musique - et tout m'en éloigne. Nous ne sommes ni musiciens avant d'être citoyens, ni le contraire. Nous sommes d'abord - avant tout et jusqu'au terme - les maîtres de notre temps, les jongleurs de nos heures. |
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Christophe Sacchettini - tofsac@mustradem.com |
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(1) Alors qu'il reste, par exemple, relativement peu touché par la baisse généralisée des subventions aux compagnies, salles et réseaux de diffusion. (2) Le développement de l'imaginaire n'éloigne pas du monde, il y ramène. (3) Rappelé par Michel Chion dans son passionnant essai Un art sonore, le cinéma (Cahiers du Cinéma / Essais, 2003, p. 311-312) |
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