Mustradem - Musiques Traditionnelles de Demain
Newsletter #05 juillet août 2010
Édito Des monstres

« J’ai toujours cru qu’il y avait plein d’impro dans le trad. » (Michel Godard, Trad Mag n°132)

Dans le dernier Trad Magazine (n° de juillet / août), mon camarade Epistémologix a fait un joli dessin. Deux, pour être exact. Sur le premier, on voit un homme blanc et une femme noire, tous deux sans visage. Ils tiennent chacun par une main un enfant qui les réunit, un joli bébé qui lui, en plus d’être café au lait, déploie une jolie risette. Il y a une légende, bien sûr : « Métissage traditionnel (ou endogène) ». Le dessin du dessous, quant à lui, est beaucoup moins joli. Il est même très très moche, mais c’est fait exprès. On voit une créature en mouvement - alors que la Sainte Trinité du dessus est statique, c’est sûrement parce que cette bestiole est potentiellement dangereuse – et vers la gauche, en plus, direction rétrograde. C’est un personnage avec une jambe, un bras et un nichon tout noir, un sabot à une patte, un escarpin à l’autre, une grosse tête à lunettes, des cornes en haut, et une plume où je pense. Les membres sont ligaturés au gros fil, preuve que cette hybride saloperie est un vrai Monstre de Frankenstein. Et la légende : « Métissage revivaliste (ou exogène) ».

Il y a donc deux types de métissage. Un bon et un mauvais. Un gentil métissage, naturel pourrait-on dire, qui produit naturellement une musique harmonieuse et consensuelle. Un peu l’imagerie de la Génération Mitterrand, quoi*. Pas très fun, tout ça. Je ne sais pas si vous vous souvenez, mais l’époque (1988), curieusement, était assez pauvre en musiques traditionnelles d’intérêt (en France, tout au moins). D’autant que l’envers était moins reluisant que l’endroit. Et à côté donc, un métissage ridicule comme une vieille précieuse, à peine assez en santé, semble-t-il, pour égorger nos fils – nos compagnes dans les règles de l’art.

Mais moi, j’aime les monstres. Les en noir et blanc, en couleur, en cinémascope, 3D, sensurround, et 25000 pedigrees. Les qui font vibrer les fauteuils quand ils éclaboussent nos parois intérieures, ceux dont le passage vous secoue les tripes, ou ceux dont le frôlement, longtemps après, vous fait encore vibrer de questions sans réponses. Alors merci, cher Epistémo, de réintroduire dans nos esthétiques des figures trop rares mais qui de longue date ont chatouillé notre imaginaire. L’Histoire (de l’art, tout au moins) avance à coups de pieds dans le cul, fournis à intervalles réguliers par les avant-gardes. Chaque époque produit les monstres qu’elle mérite, mais qu’on le veuille ou non, ce sont eux tôt ou tard qui mènent la danse. Il faut avouer qu’à côté du Surréalisme, du Grand Jeu, du Collège de Sociologie, du Nouveau Roman ou du Sérialisme, le mouvement Folk français fait toujours – aux yeux des média nationaux tout au moins - figure de gagne-petit. C’est un tort. Parce que faire jouer ensemble un accordéon diatonique et un psaltérion, comme monstre d’un point de vue historique ça se pose là. Et improviser à la flûte à bec sur The geud man of Ballangigh, c’est-y pas monstrueux ça ?! En musique moi, j’aime ce qui frotte, ce qui râcle, là ou ça griffe, ça veut entrer. Du briolage en 2010, comme on pourra l’entendre cet été au Château d’Ars grâce à Mic Baudimant ? En voilà de la science-fiction !...

Rien ne m’énerve tant que les groupes qui, dans les interviews, disent « ah nous, on ne veut pas faire de collage artificiel ». Mais foutredieu, c’est quoi un collage autre qu’artificiel ?! Croit-on que les choses se mélangent toutes seules ? La musique a-t-elle été un jour une génération spontanée ? Est-ce une critique du naturel ? Ou, au contraire, du trop d’élaboration ? Quelle est la recette ? Jusqu’à l’heure de la venue au monde de mes enfants, je ne savais quelle tête ils auraient. Alors allez-y, collez, bouturez, ligaturez, jouez les apprentis sorciers, brouillez les pistes ou signez le crime, fabriquez-nous des monstres inouïs, beaux comme une machine à coudre et un parapluie qui mazurkeraient sur le dancefloor de Lautréamont, et ceux qui ne seront pas ringards demain, c’est qu’ils méritaient de changer la face du monde comme la Créature de Frankenstein (un des phénomènes socio-littéraires les plus passionnants du XIXe s.). Ou comme Malicorne en son temps**.

Nos « nouvelles musiques traditionnelles » seront-elles à la hauteur des grands monstres que furent les artisans du mouvement revivaliste français ? C’est ce qu’on verra au fil des festivals d’été. Là où les monstres vont boire.

Christophe Sacchettini - tofsac@mustradem.com

PS : oui, bon, d’accord, la question du métissage dépasse largement celle du collage, mais c’est pas tout ça, Epistémo, qui case-t-on dans tes deux belles marmites ?...Des noms, des noms !

* Mais sans visage. Le visage selon le philosophe Emmanuel Lévinas, c’est le miroir de notre humanité, c’est ce qui nous défend de tuer le soldat croisé hors de la tranchée d’en face. (Vouloir le cacher renvoie, qu’on le veuille ou non, à un déni de quelque chose, récente et brûlante question.) L’Homme sans visage, c’est Judex, c’est Fantômas…Les parents sans visage…Moi ça m’inquiéterait, pas vous ?!

**Pour ceux qui ne le sauraient pas, Malicorne se reforme pour un unique concert le 15 juillet aux Francofolies de La Rochelle. Malicorne a vécu, Malicorne est évanoui dans les limbes depuis lurette mais c’est égal, je ne pourrai pas y aller et j’en suis bien triste. Gabriel et les autres, tenez-vous les mains et faites-nous voyager.

 
          
 
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