Mustradem - Musiques Traditionnelles de Demain
Newsletter #12 septembre octobre 2011
Édito Pas de pépins dans la bulle

ou : la pédagogie à coups de marteau

(Albert Blesteau / Christian Godard "Toupet massacre la partition" - Dupuis, 2004)

Longtemps, pour nous, aborder l’été fut comme plonger dans un monde parallèle. La fête commençait mi-juillet quand la voiture garait ses pneus dans le camping de St-Chartier encore sec, et nous dessaoulions début septembre en rentrant du festival Etétrad en Val d’Aoste. Entre les deux, il y avait des kilomètres d’autoroutes, beaucoup de musique, et des choses dont nous ne nous souvenions pas toujours. On se retrouvait d’un coup à la rentrée, hébétés comme au sortir d’une nuit boréale de 3 mois.

Maintenant que l’âge des protagonistes et la complexité du monde s’en sont venus gripper ce mouvement perpétuel, les couleurs de la saison se sont un peu atténuées ; sans doute capitalisons-nous (l’horrible mot), sans trop nous le dire, en loucedé, un peu d’espérance de vie. Une cure de raisin par-ci, un régime par-là, quelques « promis j’arrête de fumer », comme autrefois on lâchait deux pater et trois ave : septembre est le mois de toutes les aberrations.

Il nous reste néanmoins, pour justifier ces vertueuses promesses et replonger, au moins une fois l’an, tous ensemble dans la marmite infernale, un « pic » de pollution interne non négligeable : le stage Mydriase tous instruments de la fin août. Là tous les compteurs sont au rouge, le réseau EDF lui-même n’y résiste pas, comme au bon vieux temps de la chaise électrique, comprenons-nous : il ne s’agit pas de se disputer à coups de chiffres la consommation de substances pour adultes dans ce temple (le seul) de l’enseignement de la musique-traditionnelle-et-plus-si-affinités. Aussi bien moi-même cette année, en butte à une angine de cheval, et dans l’impossibilité de me doper à quoi que ce soit d’autre qu’à la Badoit au moins les 4 premiers jours, l’ai-je découvert, croyez-moi bien, sous un angle inédit.

Il s’agirait plutôt, à l’occasion, de déterrer les outils de la sociologie magique des grands visionnaires, pour éclairer l’événement dont nous fêtons cette année les 20 ans.

Ainsi quel oiseau chante dans la tête du musicien qui s’en va, fébrile, dès l’aube, caresser son instrument ? Quel exégète du masochisme étudiera l’étrange perversion collective poussant 160 stagiaires à s’infliger une après-midi entière une intense séance de musique d’ensemble, à aimer ça et à en redemander l’année suivante ? De quels pouvoirs jouissent quelques dizaines d’apprentis accordéonistes et cornemusistes capables d’investir les sous-bois alentour (il fait toujours beau en Savoie la 3e semaine d’août) sans déclencher une expédition punitive des vrais vacanciers environnants ? Quel subtil changement de pression peut bien rendre plusieurs flûtes à bec justes entre elles, à plus de 1000m d’altitude ? (1) Quelle vapeur distord le temps au point même qu’un accordage collectif de vielles à roue (improposable à un public à sec) est ici accueilli avec une certaine bienveillance ? Quel aède rendra compte de nos soirées (bals, concerts, ciné-concerts, électro-trad, apéros chantés, performances diverses…), à rendre suicidaire un programmateur professionnel ? Quel poète enfin, décrira les nuits d’encre où corps et âmes obstinément, se cherchent dans la danse ?

Ultime constatation, et non des moindres – croyez-en un expert en ubiquité mentale : mener de front une activité musicale intense et une vie onirique personnelle, immergé parmi quelque 180 amis dont vous ne connaissez pas tous les noms au bout d’une semaine, et dont certains, si ça se trouve – mais j’ose à peine y penser – n’ont pas les mêmes opinions politiques que vous, relève de l’exercice mental de haut niveau.

Et puis, j’ai beau faire le malin, ça ne rigole pas tant que ça : on fait tout pour que les stagiaires bossent toute la journée, et encore il paraît que nous nous sommes calmés, ayant atteint tout seuls, avec les années, nos propres limites. Mais on voudra bien croire que nous employons toute notre science, ayant longuement souffert nous-mêmes, à torturer les autres avec certains raffinements de cruauté.

C’est d’ailleurs pour cela que nous allons demander cette année la Médaille du Mérite. En effet, à l’instar du gentleman qui, sachant jouer de la cornemuse, néanmoins s’en abstient, l’expérience au compteur nous prouve, d’année en année, que nous avons en magasin tous les ingrédients nécessaires à la fabrication d’une splendide Secte. A côté de nous l’UMP, la Ligue Savoisienne ou l’ADP, ne sont que d’aimables plaisantins, fourbissant les pauvres armes d’un maigre et obsolète savoir-faire.

Jugeons-en : non seulement nous ne touchons pas pour ce stage, autofinancé depuis 20 ans, un centime de subvention, mais jamais ne nous sommes-nous sentis verser du côté obscur de la Force. Jamais n’avons-nous fait usage, durant cette semaine de pleine folie, de la totalité de ce pouvoir mental, de cette force collective qui est, à n’en pas douter, la nôtre, là où l’on prête parfois de bien meilleurs résultats aux bredouillis d’une bande de moines entretenus toute leur vie à rien foutre, dans des locaux scandaleusement trop grands. Alors, 180 musiciens (et un photographe) intelligents, pas trop moches, en pleine santé, et surtout au top d’une activité honnête où chacun partage ce qu’il a sans se trouver dépossédé, vous imaginez le carnage cosmique si on s’y mettait !

Mais non, rien. On rentre dans la bulle et on y reste une semaine sans rien demander en échange. Alors qu’en accordant nos karmas, on pourrait peut-être faire péter le système (2). Et vous croyez que les puissants de ce monde nous appelleraient, juste pour nous dire merci ?

Eh bien ça, tout ce qu’on voudra, ça méritait qu’on s’y attarde. C’est fait.

Christophe Sacchettini - tofsac@mustradem.com

(1) Bon allez, là j'exagère un peu...

(2) Ne dit-on pas : "Tous ensemble, et le karma sautera" ?

 

Cet édito est affectueusement dédié à Mariette B., présidente de MusTraDem : 
"même ivre, garder sa dignité musicale."

 
          
 
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