Mustradem - Musiques Traditionnelles de Demain
Newsletter #58 mai juin 2019
Édito La troisième clé (Alan Stivell et nous)

Figurez-vous que j'étais parti pour dire du mal du dernier CD d'Alan Stivell.

Je griffonnais déjà, fébrile, une notule pour Cinq Planètes, unique espace (numérique, par la force des choses) depuis la disparition de Trad Mag, pour épancher son fiel ou se faire des bisous entre amis du monde trad. Et puis, j'ai renoncé. Je me suis demandé qui ça allait bien pouvoir intéresser.
Je précise qu'il ne s'agissait nullement, comme d'autres en leur temps, de prendre pour tête de Turc Stivell, croisé maintes fois naguère sur des plateaux, dont je me suis nourri, et dont je connais la discographie à peu près par cœur. Mais je pense qu'on a besoin, plus que jamais, de prendre de la distance avec notre objet, quel qu'il soit. Voire en s'appuyant sur « j'aime / j'aime pas », qui n'est jamais qu'une porte d'entrée à deux battants sur un même monde.
Je suis persuadé que quand on s'intéresse aux musiques traditionnelles et folk, on ne peut faire l'économie, tôt ou tard, de se pencher non seulement sur l'oeuvre de Stivell, mais sur l'articulation entre ce qu'il fait et ce qu'il dit qu'il veut faire. Sachant que les livrets de ses disques sont en général des plus fournis en explications, gloses, éclaircissements et autres blablas écrits tout petit, vous savez, ces trucs prises de tête que vous ne lisez jamais (1).
Dès lors, il est facile de se moquer, au-delà de sa musique, du projet de Stivell, de sa candeur, de sa prétention tranquille à ouvrir et tout à la fois incarner quelque chose qui le dépasse, une identité qui, pour être ouverte, multiforme et tout ce qu'on veut, n'en dessine pas moins les contours d'un territoire (passé et futur, réel et imaginaire). L'insistance de l'artiste à faire œuvre de pédagogue, de l'homme à rester visible derrière son travail, force à ne pas séparer l'un et l'autre, le projet de l'objet, le sujet artistique du sujet humain. Reste une discographie des plus passionnantes sur la durée (2), avant-gardiste et populaire, d'une grande complexité tant elle brasse d'influences, cette apparence d'exhaustivité devenant tour à tour promesse et limite.
Exhaustivité, mais biaisée. Car ce qui fait tiquer dans le projet de Stivell, après avoir enfourché le folk français à ses débuts, c'est son insistance à ignorer les musiques traditionnelles françaises au profit des autres, glanées dans cette Celtie érigée en mythe qu'il a réussi à vendre au monde entier. À squeezer la France comme interlocuteur, à la nier comme entité politique et comme réservoir culturel, pour s'adresser directement à l'Europe, voire à toute la planète tant qu'à faire. On peut ainsi prendre l'oeuvre de Stivell par n'importe quel bout : on y entendra bien des joueurs de sitar ou de kora, mais jamais une vielle à roue ni une cabrette. À l'encontre de l'ouverture toujours invoquée, il s'agit bien là d'un double choix artistique et politique, quelque chose comme l'»ADN-réflexe » du nationalisme (3). Qui n'est pas pour combler l'ignorance, voire le mépris des décideurs de ce pays envers nos musiques, élites à qui l'Histoire a fourni, l'une après l'autre, deux clés pour les comprendre : le folklore, puis le celtisme. Or une clé, ça ouvre, et ça ferme. Ce que dit Stivell, c'est un peu « moi j'ai inventé le celtisme, vous autres Français, démerdez-vous de votre côté. »

Stivell pédagogue, donc. Plutôt « professeur de lui-même », pour détourner l'expression d'un autre breton, Alain Robbe-Grillet, qui lui, se foutait bien de la Bretagne comme bannière (bien qu'on l'arpente, masquée, dans ses écrits). Car à bien y regarder, on est surpris, finalement, du peu de présence de la Bretagne « réelle », géopolitique, au regard de la Celtie rêvée, imaginaire qui se dessine dans l'oeuvre de Stivell depuis 40 ans...la seule à pouvoir accueillir sa quête mystique. D'où la facilité des ennemis de Stivell à moquer son syncrétisme musical.

Et ailleurs ? On constate à quel point la notion de territoire a quasiment disparu des discours des créateurs en musique traditionnelle. Il faut dire que l'absence de médias ne facilite pas le développement d'une pensée sur le long terme...Prudence après les grandes envolées folk des années 70 ? Repli vers des aspirations purement musicales ? Contagion de la génération déracinée « néo-trad » ? Prise de pouvoir du bal folk, formaté pour l'exportation ? Peut-être un peu de tout cela.
Voilà en fait bien longtemps qu'animation de terrain et travail sur les sources ne sont plus indissociables. Le territoire est ainsi devenu l'apanage moins des artistes professionnels que des organisateurs et autres diffuseurs. Eux réfléchissent à un maillage, à s'inscrire dans des dispositifs, à un discours, bref se préoccupent de savoir quoi vendre, où, et à qui. Et, bien sûr, des « grandes tribus trad ».

Il en est d'autres qui connaissent bien le lien au sol qui les porte : ceux qui le sillonnent jour et nuit, qui roulent sans trêve pour porter partout leur verroterie, leur art, ou leurs deux mains. Les colporteurs (de musique ou pas), qui font, aujourd'hui comme hier, du lien entre sédentaires. Ils affichent un bilan carbone désastreux, mais un bilan humain hors normes. A force de feuilleter les kilomètres, parfois, au détour d'une nuit, d'une route de campagne, ils effeuillent les pages du temps.

Et nous ? Comment est-ce qu'on s'inscrit malgré tout quelque part, et comment définit-on ce quelque part, chez MusTraDem, après avoir passé 30 ans à fabriquer autre chose que de la musique du terroir dauphinois ? Quel portrait à la Arcimboldo dessinent nos bricolages artistiques ? De quelle manière sommes-nous plus que la somme des ingrédients dont nous nous pétrissons ?

Une chose est sûre, mes amis : je n'ai, ici et maintenant, ni la réponse ni la recette. Je sens bien que je vous perdrais en cours de route. Mais l'or du temps dont parlait André Breton nous invite à y chercher...une troisième clé.

Christophe Sacchettini
tofsac@mustradem.com

  1. On doit mettre ainsi presque autant de temps à déchiffrer les notes de pochettes d'albums comme E Langonned (1974) ou Harpes du Nouvel Âge (1985) qu'à écouter le disque !

  2. Je passe sur ses prestations scéniques, phagocytées par les tubes qu'il pense inoxydables.

  3. Glissons sur la relecture par Stivell du nationalisme breton dans les textes de l'album 'Raok dilestra / Avant d'accoster (1977), et relisons avec profit Françoise Morvan, Le monde comme si (Actes Sud, 2002).

 

PS1 : cherchez pas sur le net, non non, Stivell n'est pas mort (en tout cas pas à l'heure où j'écris).

PS2 : voilà bien de la chance. La recette pour sortir de la misère et se voir aspergés de milliards nous est maintenant connue. Vous qui vous occupez un peu de patrimoine, vous tous qui valorisez ce pays et qui tirez la langue un peu plus chaque jour, mettez-vous vite une flèche en carton sur la tête, un bâton de dynamite dans le cul, et filez vous faire exploser sur l'Île de la Cité ! Nul doute que l'Etat et le patronat mondial, main dans la main, pleureront quand on mettra en terre vos morceaux. Pour l'heure, les responsables du collectif MusTraDem tirent au sort lequel d'entre nous s'y colle et on arrive de suite.

Portrait d'Alan Stivell par Giuseppe Arcimboldo (1527-1593)

 

 
STAGE D’ETE

Encore quelques places à notre 28e stage Musiques traditionnelles...ou pasdu 11 au 17 août à St-Ismier (38). Les nouveautés cette année : violon avec Valère Passeri et Improvisation dans les musiques modales occidentales avec Jérémie Mignotte.

 
VIDÉOS PEDAGOGIQUES

Ça y est, elles sont en boîte, nos conférences filmées sur l'harmonie. Elles seront disponibles dès décembre sous forme de vidéos pédagogiques (20 épisodes).

 
IN SITU BABEL

L'équipe d'In Situ (Marie Mazille, Norbert Pignol, Patrick Reboud, Christophe Sacchettini et Fabrice Vigne) entame une résidence dans les quartiers « politique de la ville » de l'agglomération d'Annemasse, répartis sur Ambilly, Annemasse, Gaillard et Ville-la-Grand (74)...et ce jusqu'en 2021. Le temps nécessaire pour y faire de belles choses avec les habitants-artistes.
Nos partenaires pour cette aventure qui commence : Annemasse Agglo, le Conservatoire d'Annemasse, et FBI prod. Diverses interventions sont en cours.

 
ANNEMASSE IMPRO

Nous serons notamment en stage d'improvisation toute la semaine du 3 au 8 juin au Conservatoire d'Annemasse. Nous rejoindront pour l'occasion Stéphane Milleret et Jean-Pierre Sarzier.

 
FRERES DE SAC 4TET

Le quartet poursuit sa tournée en appartement à Grenoble le 18 mai, à Genève le 19...et de retour à Genève le 22 juin pour la Fête de la Musique.

 
TOCTOCTOC

Le trio torride européen fera transpirer les danseuses (et les danseurs aussi, y a pas de raison) le 9 juin à San Lazzaro di Savena (Italie) dans le cadre du Reno Folk Festival.

 
PIGNOL / PLASSARD

Après la remise en marche de DéBaTailles, Rites continue sa route en duo, le 18 mai à St-Martin-des-Plains (63) et le 19 à Lamontgie (63).

 
GROENLAND MANHATTAN

Suite de la tournée « success story » du BD-concert proposé par Stéphane Milleret et Sébastien Tron le 23 mai à Thourotte (60).
Infos ici, calendrier ici.

 
ENFANTS DE LA VILLENEUVE

Comme chaque année, Marie Mazille, Patrick Reboud et Christophe Sacchettini accompagneront la célèbre chorale des Enfants de la Villeneuve (500 enfants), le 14 juin à la Villeneuve de Grenoble (Place Rouge).

 
CLIPS EN VRAC

N'oubliez pas avant de partir de passer par notre chaîne Youtube ! Vous y verrez nos clips, très beaux tous les 3 : Lisières de Frères de Sac 4tet, Ça mousse / route 87 du duo Brotto-Milleret, ainsi que leur dernier clip Sur les quais. Partagez, partagez !

 
FAMDT

L'assemblée générale de la FAMDT aura lieu cette année à Ploemeur (56) du 13 au 15 juin. Le lien sur la lettre de son président Ricet Gallet qui vous explique pourquoi il faut y adhérer.

 
COPINAGE

C'est bientôt le festival Trad en Mai. Le croiriez-vous ? Pas de bal...mais quelque chose comme une parole d'anciens, qui donne envie de faire une halte à l'ombre de "la plus grande des petites salles lyonnaises", le Théâtre Sous le Caillou (Lyon), du 9 au 11 mai.

Peu de temps avant le nôtre, il y a le festival MusiQueyras et son stage : du 15 au 20 juillet à Abriès-en-Queyras (05). Certains d'entre nous y seront !

 
LA BOUTIQUE

La nouveauté maison

Trouveur Valdotèn "Noé Novel" - CD

La nouvelle nouveauté

Antiquarks - Lune bleue - CD avec ou sans calendrier des lunaisons 2019

Les galettes de l'AEPEM

Jean Blanchard - CD - Au vrai chic berrichon
Hervé Capel - CD - Accordéon chromatique, Bourrées d'Auvergne et du LImousin
Michel Nioulou - CD - Vielle à roue, Musique traditionnelle du Charollais et du Brionnais
Arnaud Bibonne - CD - Bohaussac
Yannis Duplessis - CD - J'ai pris la fantaisie

Vous qui entrez ici, laissez votre carte bleue.

 
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