Mustradem - Musiques Traditionnelles de Demain
Newsletter #25 novembre décembre 2013
Édito La (re)création est finie

"Dessine des formes si tu n'as pas d'idée. Une forme, c'est déjà une idée."
                                           Marie, 41 ans, à Louis, 8 ans

Peu de gens font de la musique avec des idées. En général, à la source de l'acte musical partagé, il y a plutôt des envies, des gens et des outils. Dans Sac'hMa (Maude Madec, Jean-Loup Sacchettini, Christophe Sacchettini), nous avons un objet : la musique bretonne. Etant tous trois de sensibilités assez proches, l'objet final respectera autant que possible un cahier des charges, pour que s'y retrouvent des programmateurs et d'éventuels danseurs (bien que la danse ne soit pas le but premier de l'opération). Mais le résultat de l'opération tiendra autant, sinon plus, à une alchimie qu'à une programmatique. Comme partout, et fin de l’introduction.

Moi, j'aime bien les débats d'idées. Je me plains qu'il n'y en ait plus (1). J'applaudis à l'existence des deux agora "nationaux" - si ce terme a encore un sens dans nos esthétiques : Trad Magazine et Tradzone, deux médias (un bimestriel dont les rédacteurs sont amateurs / bénévoles, et un forum sur le net) à l'économie et au fonctionnement proches de l'underground. Ben alors, kesstu râles encore ? C'est que, voyez-vous, j'essaie de ne pas confondre idées et idéalisme. Or il me semble que le peu de débat auxquels consentent les praticiens de notre secteur musical, tend à être un peu confisqué soit par les danseurs, soit par les idéalistes ; c'est-à-dire par des gardiens d’un temple, qui vont dépenser beaucoup d'énergie à expliquer pourquoi les choses ne sont pas ce qu'elles devraient être. Ainsi Philippe Carcassés, dans le courrier de Trad Mag, rend l'évolution du folk en trad, puis en néo-trad, comptable d'une uniformisation des musiques traditionnelles (2). C'est une idée. De celles qui sifflent la fin de la (re)création.

Le problème avec les idées, c'est qu'elles sont rarement neuves. Ainsi la réaction aux avant-gardes emprunte, à chaque génération, la même rhétorique : celle du procès d'intention. Je déplore que les opposants au néo-trad se retrouvent derrière un seul drapeau : vous avez voulu faire ceci, c'est pas bien. Vous avez dénaturé, c'est-à-dire mis votre empreinte, fait vos cochonneries, sur un truc qui avant vous existait à l'état de nature. Brièvement énoncé : aujourd'hui, on respecte plus rien.

Cette idée (vieille comme Hérode, répétons-le) pourrait bien un jour cesser d'être risible si on la met en regard de débats actuels durcissant d'aussi abstraites notions que celles de patrimoine ou d'identité. Nous n'en sommes pas tout à fait là. D'autant qu'après deux bières, comme avec mon vieil Epistémologix, Carcassés et moi remplacerions vite, à coup sûr, le ring par un épais tapis de bisounours. Reste que ce conservatisme tend à remplacer une analyse d'un phénomène complexe par une synthèse globale, forcément pessimiste : le monde s'uniformise, la musique aussi, et basta. Je ne m'oppose pas à cela : je dis juste que les historiens et les scientifiques qui pourraient nous éclairer sérieusement là-dessus n'ont pas tout à fait rendu leur copie. Et qu'une fois épluché, souvent ne reste comme oignon central du raisonnement des réactionnaires (3), que leurs goûts et couleurs (respectables au demeurant), avec quoi ils tentent de faire pleurer les autres.

Le problème de cette condamnation de principe, prononcée par des fétichistes de la fonction ou de l'origine à quoi l'on tente aujourd'hui de réduire les musiques traditionnelles, et autour desquelles, de fait, se cristallisent les prises de bec, c'est qu'elle fait l’impasse sur l’extrême diversité des pratiques, où s’équilibrent au mieux création et reproduction. On désigne mieux le troupeau dès lors qu'on pense ne pas en être.

Face aux jugements, il est facile pour les avant-gardistes de tous les domaines de se draper derrière leur liberté d'artistes. Nous autres, modestes ouvriers (hi hi), savons bien que la tradition n'existe pas (ha ha). Qu'un programme quel qu'il soit, partition ou intention, n'est que la porte d'entrée d'un voyage qui nous dépasse. A côtés des "alters" qui depuis 40 ans construisent des miradors autour de leurs pratiques, comme si la résistance au Grand Capital Mondial en était l’unique carburant, ou exhibent partout leurs racines comme si c’était un gros zizi, nous expérimentons une démarche musicale aux ramifications multiples et incertaines. Qui s'incarne dans des formes qui n'ont jamais été traditionnelles, dont vous trouvez un aperçu ci-dessous, et sur lesquelles je reviendrai dans un prochain édito. Mais qui, à mes yeux, reste dans la parfaite continuité de ce que fut le mouvement folk.

Une idée pour finir – qui en vaut d’autres: ce qui préexiste à la démarche néo-trad, c'est avant tout une pleine conscience de la distance aux modèles. A l’instar du jazz ou de n'importe quel courant des musiques actuelles, elle aboutit à une pratique qui est à la fois acte musical et commentaire de pans entiers de l'histoire de la musique du XXe siècle. A ce titre, elle s’inscrit pleinement dans le courant post moderne des musiques d'Europe de l'Ouest.

Voilà voilà, vous avez deux mois, et je ramasse les copies.

Christophe Sacchettini - tofsac@mustradem.com

(1) D’un point de vue personnel, je dois beaucoup aux années 70 et à la tendance de l’époque à la sodomie compulsive de drosophiles conceptuels.

(2) J'entends ici : "tu ne parles que d'étiquettes". Ou là : "tu n’es que défensif". Là encore (voui, sur Tradzone) : vazy, kesstutnik la tête là, prends ton biniou et joue (…je résume). Or j'aime à considérer que parfois l'étiquette révèle l'éthique. Le terme néo-trad, si ma mémoire est bonne, fut proposé voici une dizaine d'années par Thierry Laplaud dans les colonnes de Trad Mag, précisément pour faire dire à son interviewé du jour, des horreurs sur DJAL (appelle-moi, Thierry, on t'a pardonné !). Je constate qu'à l'époque, nous étions les seuls visés. Aujourd'hui, le terme néo-trad semble englober tout et n'importe quoi. Y compris de la "vraie" musique traditionnelle. C'est-à-dire, aujourd'hui, de la musique traditionnelle qui n'en est pas mais cherche à en être. C'est vexant, vous avouerez.

(3) Ça n'est pas un jugement de valeur, c'est comme ça que ça s'appelle en sociologie politique...

 
          
 
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